Fukushima cinq ans après, retour à l’anormale
Rapport rédigé par David BOILLEY, Président de l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest(ACRO), membre NTW, pour GreenPeace Belgique
RESUME
La catastrophe nucléaire à la centrale de Fukushima daï-ichi (FDI), classée au niveau 7 de l’échelle internationale INES-le niveau le plus élevé- est largement reconnue comme étant d’origine humaine. Elle a contaminé un grand territoire au Japon et est responsable du déplacement de 160 000 personnes environ, selon les statistiques officielles et les territoires contaminés qui n’ont pas été évacués sont aussi fortement affectés. La compagnie Tepco en est toujours à tenter de stabiliser la centrale et de réduire les menaces. Le démantèlement à proprement parler n’a pas encore commencés. La possibilité des conséquences éventuelles d’une autre catastrophe naturelle ne peuvent être ignorés, et les réacteurs accidentés de la centrale de FDI sont plus fragiles que des réacteurs normaux et leur enceinte de confinement fuit. Ils pourraient ne pas tenir en cas de séisme et tsunami, entraînant ainsi de nouveaux rejets radioactifs massifs.
-La protection contre les radiations: Aussi bien la politique d’évacuation que celle du retour des populations est basée sur une interprétation laxiste des recommandations internationales de radioprotection qui ne sont pas très contraignantes. 20 mSv par an correspond à la valeur la plus haute des niveaux de référence introduits par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) pour ce qu’elle appelle les « situations existantes » qui incluent le post-accident. La CIPR recommande de baisser ce niveau à 1 mSv par an. Les autorités japonaises ont donc adopté cette valeur comme un objectif à long terme, sans calendrier d’application. Trente ans après la catastrophe de Tchernobyl, les règles de radioprotection définies au niveau international ne sont pas adaptées aux personnes qui vivent dans les territoires contaminés. Elles sont particulièrement confuses pour les populations et difficiles à mettre en œuvre et cela permet aux autorités de les adapter à leur propre avantage plutôt qu’à celui des populations concernées. Les règles devraient être plus contraignantes en termes de limites, d’évolution temporelle et de mise en œuvre opérationnelle.
-Contamination de l’alimentation: En ce qui concerne la contamination de l’alimentation, les autorités japonaises ont d’abord sous-estimé l’ampleur des problèmes et ont été fréquemment prises par surprise dans les premiers mois. Par conséquent la confiance envers les autorités et le gouvernement s’est érodée et les populations préoccupées par la sécurité alimentaire ont reconsidéré leur relation à l’Etat et à l’alimentation. Le cas japonais montre l’intérêt d’un processus ouvert dans lequel chacun peut contrôler la contamination et adapter son régime alimentaire à ses propres critères. Cependant, les consommateurs rechignent toujours à acheter des aliments en provenance des territoires contaminés. La politique gouvernementale s’est focalisée sur la sécurité alimentaire sans se préoccuper de la dimension culturelle et du climat de confiance vis-à-vis des aliments. Imposer des standards ne suffit pas à surmonter la défiance des consommateurs et le défi est de garantir la sécurité alimentaire et la tranquillité qui va avec.
-Quel avenir pour les territoires évacués? La décontamination n’est pas très efficace et engendre une grande quantité de déchets radioactifs pour lesquels les solutions envisagées sont des échecs à cause de l’opposition des populations. De fait, la gestion des déchets radioactifs est très complexe dans tous les pays qui en ont accumulé une quantité significative, mais après un accident grave c’est encore plus complexe et les volumes sont gigantesques. Dans la seule province de Fukushima, environ 20 millions de mètres cubes sont attendus et le centre d’entreposage prévu va couvrir une superficie de 16km2. La décontamination s’est révélée être très décevante alors que le niveau de dose ambiant n’a pas baissé de façon significative par rapport à ce que l’on a pu observer dans les forêts où aucun travaux n’ont eu lieu.
-Les résidents sont réticents à rentrer: Jusqu’à présent, les ordres d’évacuation ont été levés dans les parties de Tamura et Kawauchi, et à Naraha en 2015 ; toutes ces territoires étant dans les parties les moins contaminées de la zone d’évacuation de 20 km. Les recommandations à l’évacuation autour de nombreux points chauds répartis ça et l ont toutes été levées. Mais les habitants rechignent à rentrer et les territoires contaminés font face aux problèmes de dépopulation et de vieillissement. Un retour à la normale est impossible après un accident nucléaire de grande ampleur comme ceux de Tchernobyl et de Fukushima. Les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux personnes déplacées à l’intérieur de leur pays enjoignent les autorités à associer pleinement ces personnes à la planification et à la gestion de leur retour et de leur réinstallation. Mais au Japon, cette participation est réduite à des « réunions d’explication » à huis clos, sans la présence de médias, d’associations, ou d’experts, laissant ainsi les populations désarmées. Les communautés ne voient pas la fin des difficultés auxquelles elles font face et en souffrent. Rester ou partir, rentrer ou se réinstaller sont autant de choix difficiles sans solution satisfaisante. Le nombre de personnes souffrant de troubles psychologiques, comme le stress post-traumatique ou la dépression est plus élevé que la normale, aussi bien chez les personnes évacuées que chez les personnes non-évacuées.
Conclusions Les conséquences de l’accident nucléaire sont toujours présentes et des réponses acceptables pour les populations sont indispensables Les personnes affectées sont toujours en train de se battre pour s’en remettre. Elles continuent à faire face à de fortes inquiétudes relatives à leur santé, à la séparation de leur famille, aux ruptures dans leur vie et à la contamination de l’environnement sur de vastes territoires. Après un tel accident, de nombreuses personnes ne croient plus en la parole des autorités et des experts qui n’ont pas réussi à les protéger. Mais les chemins vers la résilience requièrent une bonne coordination entre les autorités et les populations. Les solutions envisagées et expérimentées ne peuvent pas ignorer les besoins et demandes spécifiques des personnes concernées ainsi que leurs suggestions, ce qui implique de trouver aussi de nouvelles méthodes de délibération et de prise de décision. En plus de la souffrance engendrée, un accident nucléaire remet en cause les fondements de la démocratie. Les citoyens japonais ont fait montre d’initiative à propos de la mesure de la radioactivité. Une cartographie de la pollution radioactive a été effectuée partout et la surveillance des aliments a poussé les autorités, producteurs et vendeurs à renforcer leurs propres contrôles pour finalement conduire à une baisse significative de l’ingestion de radioéléments. Pourquoi un tel processus ouvert qui a fait ses preuves ne peut pas être mis en place pour décider de l’avenir des territoires contaminés et de leurs populations ?
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