NTW analyse le dernier Programme Illustratif Nucléaire (PINC)
La Commission européenne doit régulièrement mettre à jour et développer de nouveaux programme illustratif nucléaire (Pinc) décrivant les objectifs du secteur nucléaire. Le 4 Avril 2016 a été publié le premier rapport de la sorte depuis l’accident de Fukushima Daiichi.
CONTEXTE
Un PINC est une communication de la Commission européenne, présentée en vertu de l’article 40 du traité Euratom pour l’avis du Comité économique et social européen (CESE). Un PINC consiste en un document synthétique de la Commission européenne publié périodiquement (environ tous les 7 ans) indiquant quel type d’investissements sont prévus dans le secteur nucléaire dans la période à venir.
Le PINC le plus récent a été publié le 05/04/2016. [1]Il est le premier rapport depuis l’accident nucléaire de Fukushima en 2011, et il est axé sur les investissements liés aux améliorations de la sûreté post-Fukushima et sur la sûreté d’exploitation des installations existantes. Il est présenté comme une «base de discussion et vise à inclure toutes les parties prenantes, notamment la société civile, dans la discussion sur les tendances de l’énergie nucléaire et les investissements connexes pour la période allant jusqu’en 2050».[2]
PINC n’indique pas combien d’argent la Commission européenne ou l’Union européenne ou Euratom vont investir dans le nucléaire en tant que structures de gouvernance. Il donne plus des estimations générales sur le secteur. PINC ne donne ainsi pas de chiffres précis, mais seulement des estimations.
INVESTISSEMENTS POUR DE NOUVELLES INSTALLATIONS ?
Le Groupe de l’industrie européenne appelle à des subventions globales pour la construction de nouvelles installations. Pour Foratom, la CE devrait établir des lignes directrices claires sur l’investissement pour les nouvelles installations nucléaires. Dans une note de position datant de 2015,[3] Foratom indique que plus de 100 réacteurs nucléaires devraient être mis en service au cours des 35 prochaines années si l’Europe souhaite maintenir au moins la capacité actuelle de production d’énergie nucléaire. Interrogé sur le coût éventuel d’un tel nouvel effort majeur de construction, M. Ivens, directeur des affaires institutionnelles de Foratom, a déclaré que l’investissement requis représenterait probablement entre 500 milliards€ et 800 milliards€, selon les estimations récentes.[4]
Mais le coût de nouvelles constructions est en hausse et sous-estimé. Sans extensions de durée de vie, environ 90% des réacteurs nucléaires existants de l’UE seront fermés en 2030.
Mais même avec des extensions de durée de vie, 90% de la capacité existante de production d’électricité nucléaire devra être remplacée avant 2050. Cela coûtera entre 350-500 milliards€, selon les estimations de la Commission.
Le PINC analyse différents modèles de financement dans plusieurs États membres de l’UE et évoque les projets dans l’UE ayant connu des retards et des dépassements de coûts. Les projets finlandais Olkiluoto et français Flamanville ont tous deux triplé leurs budgets originaux et accumulent des années de retard.
La CE admet que les coûts des projets de nouvelles constructions « sont dans le haut de gamme » de ce que les analystes attendaient. Hinkley Point C est en tête du classement avec € 6,755 par kWe (contre un 5.290 € en moyenne par kWe pour une unité jumelle « première du genre »). Il y a une « tendance historique d’escalade des coûts », conclut la Commission. Même en France, les coûts de construction par MWe en 1974 étaient trois fois inférieurs à ceux des unités connectées au réseau après 1990.
QUELS INVESTISSEMENTS PREVUS POUR L’EXTENSION DE VIE DES CENTRALES ?
Des mises à jour pour les extensions de vie au-delà de la durée de vie technique initiale prévue des réacteurs (de 30 ou 40 ans, selon le modèle), avec des améliorations de sécurité « dans la mesure du possible», sont censées nécessiter entre 45 et 50 Milliards d’euros jusqu’en 2050. Ce chiffre est cependant étrange, car la France seule déjà devra investir environ 100 Milliards d’euros dans la modernisation de son parc nucléaire jusqu’en 2030, tout en fermant le tiers de celui-ci.[5] Greenpeace a de plus conclu après les tests de stress-Fukushima que de nombreuses améliorations importantes proposées pour les réacteurs nucléaires existants ont été mises à mal par d’autres études ou retardées pour des raisons économiques.[6]
FONDS ALLOUES AU DÉMANTÈLEMENT ET AUX DECHETS
C’est la fin du cycle du combustible – la gestion des déchets et démantèlement – qui va réclamer une part croissante des investissements dans les années à venir. Plus de 50 des 131 réacteurs de l’UE sont susceptibles d’être fermés d’ici 2025, et il y a encore beaucoup de variantes inconnues. Seuls 3 réacteurs en Europe ont jusqu’à présent été intégralement démantelés- tous en Allemagne. La Commission européenne exprime le souhait que l’Europe devienne leader dans la technologie et l’expérience du démantèlement.
On constate que les fonds alloués à ce jour sont insuffisants. En effet les États membres s’attendent à avoir besoin d’un total de 253 Mds d’euros pour le démantèlement et les déchets jusqu’à 2050-123 Milliards d’euros pour le démantèlement et 130 Milliards d’euros pour le combustible nucléaire usé et les déchets nucléaires. Cela ne comprend pas les coûts prévus après 2050, qui pourraient être plus que ce montant, étant donné que la plupart des pays ne prévoient de commencer à appliquer les dépositaires de déchets radioactifs après 2050. Actuellement, il n’y a que 150 Mds Euro agrégés dans des fonds alloués.
UN TERRAIN LARGEMENT INCONNU
A propos des déchets nucléaires, les États membres devront passer de la recherche à l’action concernant le stockage géologique. Les premières installations devraient être opérationnelles en Finlande, en Suède et en France entre 2020 et 2030 (la Finlande est en tête avec une date d’échéance en 2023). Presque tous les autres États membres sont encore au stade des «études préliminaires». L’acceptation publique demeure un défi. Les coûts prévisionnels des dépôts de stockage à long terme vont de de moins d’un demi-milliard en Slovénie et en Croatie à plus de 20 milliards € en France, selon PINC. Tout cela ajoute à 68 milliards €, soit près de la moitié du total des coûts estimés de gestion des déchets de 142 milliards € sur 2050. Pour ces derniers, le résultat moyen de € 3,23 par MWh est plus du double de ce qui a été estimé dans les études récentes, selon la Commission. Plus d’un tiers des coûts totaux sont pour la France.
L’autre moitié de l’équation de fin de vie, le démantèlement, est un terrain largement inconnu. L’expérience est rare: bien que 89 réacteurs aient été fermés de façon permanente en Europe en octobre 2015, trois seulement ont été totalement démantelés et tous les trois étaient en Allemagne. Dans le monde, seuls 13 autres ont été mis hors service; chacun d’eux aux Etats-Unis. Les coûts sont difficiles à estimer. La Commission parvient à un coût total de 126 milliards € pour le démantèlement sur 2050. Certains diront que les coûts réels sont susceptibles d’être beaucoup plus élevés. Les estimations des coûts de démantèlement par unité varient également « de manière significative » entre les États membres, de milliards € 0,20 Finlande à 1,33 milliards € en Lituanie. L’Allemagne et le Royaume-Uni sont à l’extrémité supérieure (1,06 Md € et 0,85 Md €, respectivement) alors que la France est à l’extrémité basse (0,32 Md €). Les coûts de démantèlement varient selon le type de réacteur et la taille, l’emplacement, la proximité et la disponibilité des installations d’élimination, l’utilisation future prévu du site et de l’état du réacteur au moment du démantèlement. Bien que le démantèlement puisse progressivement devenir moins cher, le coût final des dépôts de déchets est largement inconnu.
En Europe, les fonds finalement recueillies ne pourront atteindre un niveau permettant d’éviter l’intervention des gouvernements. La France, qui exploite le plus grand parc de centrales nucléaires de l’Europe, est fortement sous-financée, car n’a affecté des investissements que d’un montant de 23 milliards d’euros, moins d’un tiers des 74,1 milliards d’euros en coûts prévus. En Allemagne, un supplément de 7,7 milliards d’euros est nécessaire au-dessus des 38 milliards d’euros actuels.
A RETENIR :
• 90% du parc nucléaire dans l’UE devra être remplacé en 2030 avec d’autres capacités (que ce soit nucléaire, fossile ou renouvelable) s’il n’y a pas d’extension de la durée de vie. Ce constat suit le taux d’élimination dans le E.A. Greenpeace Energy [R] évolution Scénario
• La Commission espère que la normalisation des designs fera baisser les prix de la construction de nouvelles centrales nucléaires.
• La Commission européenne souhaite garantir qu’aucun pays ne devienne complètement dépendant d’un fournisseur d’élément de combustible nucléaire.
• La Commission européenne espère que, entre 2020 et 2030, les premiers sites de stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde seront mis en service en Finlande, en Suède et en France. Elle ne mentionne pas que cela n’est toujours pas assuré à cause des défis techniques et réglementaires
• La Commission européenne ouvre la possibilité pour les États membres à élaborer en commun les dépôts de déchets nucléaires. Or ceci est un développement dangereux qui pourrait inciter certains États membres (par exemple la Hongrie, la Slovénie, les Pays-Bas, Lituanie) à ralentir le développement de leur propre gestion des déchets nucléaires afin de déléguer cette tâche ailleurs.
• La Commission européenne condamne les pays ne dépendant que des installations de stockage temporaire des déchets nucléaires: « Le stockage provisoire est toutefois provisoire et ne devrait pas retarder le développement de solutions permanentes. »
• Il existe un écart de 123 Milliards d’euros pour les fonds alloués au démantèlement et à la gestion des déchets jusqu’en 2050.
[1] http://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2016/EN/1-2016-177-EN-F1-1.PDF
[2] http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-1202_en.htm
[3] http://www.foratom.org/newsfeeds/377-foratom-on-pinc-maintaining-nuclear-s-current-capacity-to-reach-eu-energy-goals-2050.html
[4] http://www.nucnet.org/all-the-news/2016/02/08/european-industry-group-calls-for-clear-eu-state-aid-guidelines-for-new-build
[5] http://www.reuters.com/article/us-edf-nuclear-idUSKCN0VJ0ML
[6] Becker, Oda, Critical Review of the Updated National Action Plans (NacP) of the EU Stress Tests on Nuclear Power Plants, Brussels (2015) Greenpeace EU Unit; http://www.greenpeace.org/luxembourg/Global/luxembourg/image/2015/Nukes/Greenpeace%20Repport.Critical%20Review%20of%20the%20NACP.pdf