OU COMMENT MINER LA TRANSPARENCE NUCLEAIRE
Lorsque la Belgique a décidé en 2003 de changer de direction vers une énergie propre et d’éliminer progressivement son parc nucléaire après 40 années de fonctionnement, elle ne s’attendait probablement pas au désordre qu’elle confronte actuellement. Ou peut-être que si. La politique peut être confuse dans le Royaume.
La Belgique a suivi la France dans la construction de centrales nucléaires quand elle remarqua que ses stocks de charbon ne pouvaient plus être exploitables économiquement dans les années 60. La crise du pétrole dans le début des années 1970 a en outre ouvert la voie à une option nucléaire. Sept réacteurs nucléaires ont été construits sur deux sites. Quatre d’entre eux à Doel, très proche de la ville portuaire d’Anvers. Les trois autres se situent à Tihange, sur la rive de la Meuse, entre Namur et Liège. Quand la date des premiers arrêts approcha, les opérateurs nucléaires belges d’Electrabel/Engie et EdF en contact avec leur fan-club politique ont indiqué au gouvernement que la fermeture des trois réacteurs les plus anciens, Tihange 1 et Doel 1 et 2, pourrait conduire à des pénuries d’électricité lors des jours d’hiver extrêmes. Malgré l’existence de stratégies alternatives, le gouvernement belge a décidé en 2013 de donner une extension de durée de vie de 10 ans pour Tihange 1, tout en confirmant la durée de vie limitée à 40 ans pour les autres.
Au début de l’été 2012, deux des réacteurs les plus « récents », Tihange 2 et Doel 3, ont été analysées avec des milliers de fissures se présentant sous forme de flocons d’hydrogène au sein de leur cuve.Il n’y avait pas de documents pour expliquer ce phénomène et les tests existants restent peu concluants quant à la question de savoir si ces fissures ont été là depuis le début ou auraient augmenté au fil du temps. En conséquence, les deux réacteurs sont fermés et le resteront jusqu’à ce que de nouvelles enquêtes donnent plus de précisions.
Les fermetures de Doel 1 et 2 étaient prévues pour février 2015 et décembre 2015. Mais entre temps, Engie/Electrabel et la nouvelle ministre belge de l’énergie, Marie-Christine Marghem, ont pris prétexte de la non-disponibilité de Tihange 2 et Doel 3 pour accorder une vie prolongée de 10 ans et plus pour Doel 1 et 2. La raison officielle était encore un risque de pénuries lors des périodes froides de l’hiver à venir.
Pour Tihange 1, un protocole d’accord secret a été mis en place dans lequel, ils prévoient de donner à l’Etat 70% des bénéfices associés à cette prolongation de durée de vie. En contrepartie, l’État belge garantie aux opérateurs la possibilité de prolonger ces réacteurs jusqu’en Octobre 2025. Dans le cas contraire, il devra payer tous les profits perdus. Le mauvais rendement ou les risques radioactifs peuvent conduire à un arrêt sans paiements des profits perdus. toutefois s’il y a un accident ailleurs dans le monde ou si le gouvernement belge souhaite adopter la même stratégie que l’Allemagne et fermer tous ses réacteurs âgés de plus de 32 ans, cet accord peut s’avérer très coûteux. Cette garantie politique est identique à celle qu’EDF a utilisée dans son accord avec le gouvernement britannique pour la construction de la centrale d’Hinkley Point C. Les populations assurent donc les risques financiers alors que ce sont les politiciens qui font le choix d’une option impliquant des risques nucléaires. Le gouvernement belge a indiqué que la totalité de l’accord était confidentiel et s’est donc opposé à sa publication. C’est contraire à la décision de la Commission fédérale de Recours pour l’accès aux informations environnementales, aux lois belge et européenne et à la Convention d’Aarhus sur l’accès aux informations environnementales, qui donnent la prévalence aux intérêts du public sur celles commerciales – bien qu’il n’y ait aucune information commerciale dans cet accord. Quelques parlementaires de l’opposition ont alors décidé de citer l’intégralité de l’accord dans une résolution, ce qui a permis d’y jeter un coup d’oeil.
Une chose importante est l’omission de la réalisation d’une évaluation d’impact environnemental (EIE) dans cette décision qui devrait être réalisée dans le cas d’un prolongement de durée de vie d’une centrale nucléaire en vertu des Conventions d’Aarhus et d’Espoo et du droit européen et belge. Si la ministre belge prend en compte cette obligation, Tihange 1 ne sera donc pas en mesure de fonctionner avant qu’une EIE ne soit réalisée, et ceci, avec la participation du public belge et des pays voisins, ce qui peut facilement prendre un an. Dans cette hypothèse, selon les termes du protocole, l’Etat belge devra payer les profits manqués à Engie/Electrabel et EdF.
On comprend mieux ici la raison pour laquelle l’Etat belge se bat avec tous les moyens disponibles contre l’obligation légale d’une EIE, malgré les avis juridiques de la plus haute instance juridique du pays, le Conseil d’Etat. Les avis juridiques que le gouvernement belge utilise viennent d’Engie/Electrabel et du cabinet hollandais d’avocats Stibbe). Ceux-ci reconnaissent des obligations, tout en proposant plusieurs dispositions juridiques susceptibles d’aider l’Etat belge à échapper à ses obligations.
Dans les discussions sur l’Union de l’énergie, la Belgique soutient l’objectif européen d’avoir le parc nucléaire le plus sûr au monde. Partout, elle déclare que la sûreté nucléaire sera toujours la priorité numéro un. Cependant, les derniers événements interpellent sur la prédominance des objectifs financiers sur les objectifs de sûreté.
Tihange 1 et Doel 1 et 2 ont déjà plus de 40 ans, alors que leur durée de vie était conçue pour 30 ans. Une étude récente, commandée par Greenpeace [1], montre qu’ils font face à de nombreux problèmes dans les stress tests de l’UE. Une autre étude [2] montre qu’ils sont situés à proximité de grandes populations et que leurs dispositifs de préparation et d’intervention en cas de grands accidents nucléaires sont totalement insuffisants.
Au lieu de continuer à fouetter ces vieux chevaux au travail, il est primordial de respecter la loi qui garantit la transparence et de se focaliser sur la sûreté nucléaire. Nous ne sommes pas dans un Royaume bananier.
[1] Analyse de la mise à jour des plans d’action nationaux des stress tests de l’Union européenne sur les centrales nucléaires, juin 2015, Greenpeace
[2] Insuffisances des plans d’urgence nucléaire belges, Janvier 2015, ACRO
APERÇU DES DERNIERS DEVELOPPEMENTS SUR LES REACTEURS NUCLEAIRES BELGES
• En 2003, la Belgique a décidé de sortir progressivement du nucléaire après 40 ans de fonctionnement de ses réacteurs. En 2013, le gouvernement belge a décidé d’accorder à Tihange 1 un prolongement de 10 ans pour prévenir les pénuries de production en cas de périodes de froid extrême au cours des hivers 2015/2017.
• Le gouvernement belge a conclu un accord confidentiel avec les opérateurs Engie/Electrabel /EdF pour couvrir les 10 années de prolongement de durée de vie. Dans cet accord, les opérateurs nucléaires reçoivent quasiment une garantie de profits, ainsi que l’assurance que la décision de prolonger la durée de vie ne sera pas annulée par un autre gouvernement.
• Lors de l’été 2012, Electrabel a découvert des milliers de fissures dans les cuves sous pression des réacteur de Tihange 2 et Doel 3. L’hypothèse initiale que ces flocons d’hydrogène ont été causés pendant la production et qu’ils n’ont pas augmenté au fil du temps est encore en débat. Actuellement, les réacteurs sont fermés en attendant des enquêtes supplémentaires, et il n’est pas sûr qu’ils vont un jour redémarrer.
• En Juin 2015, avec des craintes de pénuries de production pendant les périodes de froid extrême, le Parlement belge a adopté une loi qui octroi également de prolonger la durée de vie de Doel 1 et 2 de dix ans.
• Peu de jours après cette décision, l’exploitant du réseau belge a publié une évaluation concluant que la Belgique est bien intégrée dans le réseau européen d’électricité et possède une capacité de réserve de gaz de rechange et que donc il n’y a pas de risques de black-outs, même en hiver.
• En vertu de la Convention d’Espoo, la directive EIE de l’UE et de la législation belge, une évaluation d’impact sur l’environnement devrait être faite pour un prolongement de la durée de vie d’une centrale nucléaire. La plus haute instance juridique du pays, le Conseil d’Etat, a confirmé cette position dans un avis au ministre. Mais la ministre continue de refuser d’établir une EIE en se basant sur les évaluations juridiques de l’opérateur Electrabel et du cabinet néerlandais d’avocats, Stibbe.
Jan Haverkamp (1959) est membre du conseil d’administration de Nuclear Transparency Watch et expert consultant sur l’énergie nucléaire et la stratégie énergétique pour Greenpeace Europe centrale et orientale et WISE (Service mondial d’information sur l’énergie).